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Confusion et sentiments

12 mai 2013

Love Hurts.

Pourquoi avoir choisi ce titre des Nazareth ? Je ne sais pas. Parce que, peut-être, je l'écoutais à ce moment précis de la création de ce blog.

La chanson, la voici : https://www.youtube.com/watch?v=6pHNkOQCIzk

C'est ce qu'il faut expliquer aux proches pour mettre des mots sur des - maux - comportements interprétés comme incongrus quand ils ne sont pas retranscrits dans le contexte de la maladie.

Love Hurts, dans sa traduction française : "l'amour fait mal" ou plutôt "blessures d'amour". Parce qu'Alzheimer, ce sont aussi des blessures d'amour. Une maladie traitre, lâche, dissimulée. Parce qu'elle est violente, elle s'accapare de la raison et du corps de celui ou de celle qui en est atteint. Comme une possession par une entité incontrôlable. Les mots fusent, bien souvent les insultes, les accusations. Parce qu'une certaine forme paranoïde de la maladie s'exprime aussi à travers ces accusations. Pour Maman, la paranoïa s'exprime à travers des accusations de vol. Des objets disparus (mais enfin très souvent jetés ou donnés il y a 15 ou 20 ans) de la maison, des crédits sollicités il y a plusieurs années dont elle n'est pas - dans ses mots - responsable et que l'on paie encore, des mouvements d'argent sur des cartes de crédit dont elle n'est pas à l'origine, inclinant ainsi son discours vers ma personne : je serais donc à l'origine de ces diverses transactions...en gros, je volerais de l'argent à Maman par le biais de ses cartes. Malgré les relevés que nous reçevons mensuellement, malgré les explications de notre Père et de notre conseiller bancaire, rien n'y fait : à ses yeux je serai toujours un voleur, un fauteur de troubles, celui qui souhaite la placer en la qualifiant de folle auprès du corps médical. Et puis si je ne suis pas content, je peux toujours "dégager". L'idée m'a effectivement frôlé l'esprit. Partir. Rien ne pourrait me retenir, c'est vrai. Je n'ai pas d'ami-e-s, je n'ai pas d'enfant, personne qui m'est intimement lié, je peux partir, oui... Mais je ne veux pas, je n'ose même pas imaginer me reconnaître dans un miroir après cette fuite en avant, cet oubli.

Alors je console Maman. Elle pleure souvent. Elle parle de suicide, de fuite, d'errance et moi j'ai peur. Jamais je n'ai pu penser qu'un jour notre mère nous parlerait de suicide, de mourir volontairement, elle qui est si forte, elle qui a une si grande personnalité. Alors je ressens des choses que je n'ai pas ressenties depuis mon enfance : l'abandon. J'ai peur que Maman m'abandonne, à la sortie de l'école, qu'elle parte volontairement me laissant seul. Ces sentiments qui ont hanté, parfois, mon enfance et reviennent, comme des fantômes du passé ; ces peurs viscérales, primaires, où la raison n'est qu'infime, où l'irrationel a toute sa place. J'ai peur aussi pour Papa. Il a peur aussi pour Maman. Les deux sont plus que liés, ils ne forment qu'un bien sûr et je dois préserver l'équilibre entre ces deux êtres : si je perds l'un, je perdrai l'autre systématiquement. Je ne refuse pas la Nature et son travail de destruction, la mortalité qu'elle met en oeuvre pour réguler ses cycles dont nous sommes tous tributaires. Je ne crois pas en l'immortalité et je ne suis pas dans le déni de la vie "à tout prix". Je veux juste ne pas précipiter son emprise : retarder, oui, c'est bien le mot, retarder son ultime souffle. C'est pour cela qu'en nous évoquant son désir de mourir volontairement, je suis heurté mais reste paisible car je sais que tel n'est pas son désir dans l'absolu. Maman a besoin d'être écoutée, d'être considérée quand arrivent ces crises, du moins, quand cette maladie se manifeste. Parce que dans ce désir de mourir volontairement, je ne reconnais pas Maman, et je sais que ce n'est pas elle qui s'exprime ainsi. Maman a toujours voulu vivre, elle aime la vie, les couleurs flamboyantes, le soleil, les rires, la convivialité...tout ce qui est le contraire de la mort.

Depuis le 22 avril nous vivons avec un nouveau locataire : Alzheimer. Même si mes proches et moi-même nous nous en doutions, le verdict médical a sonné comme l'officialisation du "mal". Les doutes ne sont plus là, mais la maladie, sensible encore dans son expression, est bien là. Je n'arrive pas à croire qu'elle vient, encore une fois, se rappeler à notre "bon souvenir". Il y a vingt ans, ce que les médecins désignaient alors sous le nom de "démence sénile" s'accaparait de Louise, la mère de notre mère. Nous ne comprenions pas, nous vivions à l'heure médicale où les spécialistes, les médecins en l'occurrence, avaient toujours le dernier mot et un avis bien simpliste sur cette question : vieillesse = sénilité = dépendance = placement = mort.  

J'ai eu cette idée de créer ce blog, comme défouloir mais comme un défouloir raisonné, sérieux. J'ai envie de raconter notre expérience qui bien qu'elle nous soit connue reste tout de même assez inédite, pour moi. J'ai vu ma grand-mère accaparée par cette maladie. Ma Mère l'a recueillie alors qu'elle subissait un placement dans une institution publique. Vingt ans après, même si l'expérience et le contexte ne sont guère les mêmes, je me sens comme ma Mère lorsque nous étions 20 ans plus jeunes. Son expérience, sa force, seront des exemples, une conduite à tenir, une inspiration à puiser. Ce blog aura aussi pour vocation d'être - ce qui l'est de toutes façons dans son utilisation - un journal, un journal de bord même. J'essaierai de l'entretenir quotidiennement ou, tout au moins, de façon hebdomadaire.

Prochainement, Maman a rendez-vous le 15 mai chez le pneumologue, pour son suivi annuel. Le 27 mai prochain, elle a rendez-vous chez le neurologue. Nous pensons, mon Père et moi, nous espérons même, qu'il saura, lui, en tant que "spécialiste", expliquer la maladie d'une autre façon que nous l'avons expliquée à notre Mère. Maman exprime beaucoup de rejet envers le corps médical. Elle exprime son rejet aussi de la maladie. Pour elle, nous la contraignons à la folie. Je passe beaucoup de temps à la rassurer, à l'apaiser aussi. Je la rassure sur notre présence à ses côtés, sur le fait aussi qu'un traitement lui sera vraisemblablement proposé pour atténuer les effets. Mais nous ne sommes pas médecins et notre parole reste, malgré tout, passionnelle. Je lui dis souvent que nous l'aimons mais quand les effets de la maladie se font sentir, rien ne peut la consoler. Elle reste sur les obsessions qui l'habitent, la tourmentent et elle reste un long moment inconsolable. De ce fait, nous apprenons également la patience. Papa fait d'énormes efforts mais je suis content qu'il ait su dissocier la maladie de la "normalité" et qu'il ne se formalise pas de ce que Maman lui dit, parfois, de très désagréable.

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